Les compléments alimentaires : Pour qui ? Pour quoi ?


J'ai remarqué dans ma vie quotidienne un engouement pour les compléments alimentaires notamment ceux à base de vitamines avec des allégations alléchantes : prévient le risque d’ostéoporose, réduit la fatigue, réduit le risque de cancer, ... Nombreuses personnes m’ont questionnée sur leur intérêt et je ne pouvais être en mesure d’y répondre assurément. Il m’a semblé alors important de combler ces lacunes par une étude. Pour cela, j’ai fait diverses lectures, réalisé un questionnaire que j’ai soumis et j’ai eu une centaine de répondants. Voici un article résumé du fruit de mes recherches sur le sujet.

Rappelons d’abord que des méthodes épidémiologiques ont permis de définir des besoins minimaux en chaque vitamine. Des valeurs de référence pour les apports journaliers sont données par l’ANSES (Agence Nationale de Securité Sanitaire de l’Alimentation, de l’environnement et du travail) et permettraient de couvrir tous les besoins de notre organisme. Celles-ci sont appelées ANC (Apports Nutritionnels Conseillés). L’apport nécessaire est calculé en fonction des pertes quotidiennes et du taux d’absorption intestinale avec une marge de sécurité. Ces calculs correspondent au plus grand nombre (97,5% de la population) mais il existe cependant des disparités individuelles. Ainsi, un individu ingérant une quantité inférieure de vitamines pourrait n’avoir aucun effet délétère. Ceci peut s’observer dans la pratique de la diététique : un patient ayant pourtant une alimentation peu diversifiée n’aura pas toujours de carence et/ou déficit en vitamines.

 

 Se supplémenter pour améliorer ou contrôler son état de santé

 

Mon enquête a révélé que beaucoup de personnes se référaient aux allégations pour prendre un CA sans pour autant avoir une carence. Cela est certainement dû à la volonté d’améliorer leur état de santé actuel et/ou futur qu’ils sont utilisés donc à titre curatif ou à titre préventif. 

 

Y a-t-il un risque de prendre des compléments sans avoir de carence ?

 

Malheureusement, les études contrôlées et réalisées pour valider les allégations santé sont récentes (changements législatifs) et le recul est minime. Les résultats de ces recherches sont assez hétérogènes et peu démontrent de façon parfaite la corrélation entre la prise du CA étudié et l’effet bénéfique sur la santé. Pire encore, ils pourraient avoir des effets délétères sur la santé : 282 signalements d’effets indésirables ont été jugés recevables par l’ANSES (Nutrivigilance, de décembre 2010 à octobre 2014). Par exemple, l’étude SUVIMAX, en France a prouvé généralement une réduction du cancer par la prise de CA à base de vitamines mais a multiplié par quatre les mélanomes chez les personnes présentant des facteurs de risque. L’étude finlandaise ATBC et Garett a démontré les effets bénéfiques de la provitamine A en limitant les facteurs de risque de développement de cancer du poumon chez les non fumeurs (ayant des apports faibles d’antioxydants) mais a multiplié les risques et la mortalité chez les fumeurs. La vitamine A à forte dose et sur le long terme deviendrait pro-oxydante (effets inverses que ceux recherchés). La recherche est un domaine sujet à polémiques et il est difficile de se positionner sans avoir le savoir d’expert. Il faut rester prudent sur les réels bienfaits d’un CA sur une personne ayant une alimentation équilibrée car on sait qu’il peut y avoir des effets négatifs suite à un surdosage. « C’est la dose qui fait le poison » : un risque de surdose pourrait exister chez des personnes qui ont déjà des apports en vitamines suffisants

 

La supplémentation est-elle utile dans le cadre d'une alimentation variée et équilibrée ?

 

Le questionnaire a montré que certaines personnes prennent des CA, en ayant une alimentation en dehors de certains repères de consommation idéaux. 

 

Rectifier l’alimentation de ces personnes pourrait-il éviter cette prise de CA ?

 

Quand je parle d’idéaux, je fais référence encore une fois aux recommandations de l’ANSES et de la HAS (Haute Autorité de Santé) qui sont une référence pour les diététiciens. Pour moi, une alimentation équilibrée et variée pourrait sûrement éviter cet usage. Cependant, il peut y avoir des personnes à risque comme celles qui ne consomment pas certains aliments, par goûts ou par convictions : régime végétalien ou vegan par exemple. Je respecte totalement ce choix et le comprends et là une supplémentation vitaminique a toute sa place si toutefois on a décelé, par un examen biologique ou médical, un déficit ou une carence. Notons toutefois que peu de végétariens sont carencés car ils ont une alimentation très variée et ils sont bien renseignés sur la façon de la gérer pour couvrir tous leurs besoins nutritionnels. Il y a certainement des cas dans des régimes plus stricts. Des carences peuvent également survenir et ce pour toutes les vitamines dans le cadre de pathologies (maladie hépatique, atteinte de malabsorption intestinale, …) et de chirurgies, bariatrique notamment. Dans ce cadre, les compléments alimentaires ont toute leur place sous suivi médical.

 

Les vitamines qui peuvent être source de déficit ou de carence

 

Nous pouvons remarquer que certaines personnes prennent des CA à base de vitamines car ils ont une carence mais seules 60 % de celles-ci sont avérées par un bilan biologique (résultat enquête). 

 

Les 40 % qui n’ont pas eu de validation de cette carence par un examen médical ont-ils réellement besoin de complémentation ?

 

J’ai approfondi le sujet pour connaître les principaux risques en France. Rappelons qu’il y a une distinction importante à faire entre carence et déficit. Un déficit est une diminution seule d’une vitamine sans atteindre l’épuisement total des réserves contrairement à la carence. Pour évaluer un déficit ou une carence on a deux possibilités : la mesure directe du niveau de vitamine (dosage sanguin) ou la mesure d’une fonction, d’un mécanisme qui dépend d’une vitamine. Il est nécessaire d’en référer à son médecin en cas de doute pour faire les analyses adéquates.

 

Pour les sujets en bonne santé, sans pathologie particulière, ni chirurgie lourde subie, on peut lister plusieurs vitamines qui sont peu stockées dans l’organisme. Ci-dessous la liste de celles-ci, associées aux aliments qui en sont les plus riches pour en mesurer réellement le danger :

 

- Les vitamines B3, B5 et B8 :

Lorsque l'on regarde les principaux aliments où elles sont représentées, seules des personnes avec une alimentation très peu équilibrée pourraient être concernées car ce sont des aliments de base et très courants dans la société française (Viandes, poissons, œufs, céréales). Un rééquilibrage alimentaire éliminera facilement la possibilité de déficit/carence.

 

- La vitamine B1  :

Cette vitamine se trouvant essentiellement dans la viande de porc et les produits peu raffinés (pâtes complètes, riz complet, ...) on pourrait penser que les personnes qui n'en consomment pas aient un possible déficit et/ou carence. Etant donné qu'il n’y a pas de notion de déficit/carence lié à ce type d'alimentation apparaissant dans la littérature, cette hypothèse est donc écartée.

 

- La vitamine C :

Elle doit être apportée quotidiennement car elle n’est pas stockée et comme pour la B1, seule une malnutrition pourrait entraîner un déficit/carence.

 

- La vitamine D :

Visiblement, c'est pour cette vitamine que le risque est le plus important. Son stockage est très important, en revanche elle est synthétisée grâce aux ultra-violets (UV). En France, la période hivernale, notamment dans la moitié nord de la France, provoquerait des soucis de déficit/carence dans la population (ensoleillement faible). Diverses données chiffrées en témoignent. Il faudrait s’exposer, d’après mes lectures les plus sérieuses en se découvrant au tiers et durant quinze minutes. On en conviendra, cela est difficilement réalisable en période hivernale. De ce fait, de nombreux adultes/enfants seraient touchés. La question se pose alors de savoir si une adaptation dans l’alimentation pourrait être possible pour éviter le recours aux CA. J’ai effectué des calculs pour m’assurer qu’on pouvait couvrir les besoins en vitamine D par l’alimentation. En respectant les recommandations de fréquence de consommation de l’ANSES, on peut atteindre les ANC pour les adultes en consommant une portion de poisson « gras » (150g) et une portion de poisson « maigre » (150g) par semaine.

Les populations à risque peuvent être les personnes ne consommant pas ces quantités de poissons et ne se trouvant pas exposées aux UV assez longtemps telles que les personnes travaillant dans un milieu clos, les personnes âgées en institution, les personnes hospitalisées.

Notons aussi que les besoins sont doublés pour les femmes enceintes. A la vue des mesures de précautions à prendre concernant la consommation de poissons durant la grossesse (métaux lourds) ceci n’est pas réalisable. Une surveillance particulière et une prescription médicale devra être certainement envisagée si un dosage sanguin révèle un manque. Il en est de même pour les personnes âgées qui ont elles aussi des besoins équivalents, là aussi il faudra être vigilant.

Rajoutons encore une fois que certains régimes restrictifs peuvent alors comporter un risque de carence/déficit.

 

Choix des compléments

 

Je pense qu’il est préférable de les choisir en provenance de l’Union Européenne (UE) car les critères de mise sur le marché sont différents pour les pays hors UE, cela est certainement plus sûr. Préférez les complément à base d’une seule vitamine et non les mélanges. Si vous avez besoin uniquement de vitamine D, pourquoi la compléter par de la vitamine E ou toute autre vitamine ? Pensez bien à lire l’étiquetage avec attention afin de faire une choix adapté. Il est préférable de respecter les dosages que vous recommandent un professionnel de la diététique et/ou nutrition. Pourquoi surdoser ? Si vous avez besoin d’un stylo pour écrire et que je vous en donne deux, allez-vous utiliser le deuxième ? Votre corps fonctionne de la même manière, il répond à des besoins précis donc si vous lui donnez trop, il ne le consommera pas si il n’en a pas besoin. Soit il devra l’éliminer ou alors le stocker et on sait aujourd’hui qu’un stockage hépatique (au niveau du foie) trop important pourrait ne pas être bénéfique pour notre corps. N’hésitez jamais à demander conseil à un professionnel : médecin généraliste, médecin nutritionniste, diététicienne-nutritionniste, pharmacien, ...

 

Le rôle de la diététicienne et ma vision après cette étude

 

En tant que professionnelle dans le paramédical, je pense qu’il est important de conseiller les CA à base de vitamines qu’en cas de déficit ou carence avéré(e) par un bilan biologique par mesure de sûreté. Evidemment, si l’étude de vos habitudes alimentaires met en évidence un défaut d’apport, il convient de vous aider en rétablissant une alimentation équilibrée, adaptée permettant une couverture de tous vos besoins nutritionnels. Si toutefois, vous ne le souhaitez pas ou ne pouvez pas (conviction, aversion, ...), l’orientation vers ces compléments est primordiale en veillant à ce que le dosage corresponde à vos besoins par une analyse précise de ceux-ci. Si une carence perdure, c’est qu’elle n’est pas liée à un mauvais apport alimentaire : un phénomène physiologique, un dérèglement peut en être la cause. Ceci est en dehors des compétences de la diététicienne, il convient à ce moment de vous diriger vers un praticien qualifié adapté à la situation (médecin, gastro-entérologue, ...). Notre rôle est également préventif, il faut repérer les personnes à risque et analyser par les moyens cités plus haut que les besoins sont bien couverts. Si tel n’est pas le cas, les mêmes mesures qu'évoquées précédemment doivent être appliquées. Les compléments alimentaires ne sont pas des produits anodins et un mauvais usage peut conduire à des effets indésirables, voir même compromettre la santé d’un individu. La prévention passe aussi par la transmission de ce savoir.

Si vous désirez prendre un CA (pour guérir une pathologie, par inquiétude sur votre santé, ...), il me semble nécessaire, de vous prévenir des risques encourus ou l’inutilité  possible d’action avec la consommation de ces produits. Internet est une source d’informations exceptionnelle cependant nous y trouvons tout et son contraire, c’est pourquoi il faut toujours s’en référer à des personnes qualifiées et vérifier les données trouvées afin de ne pas compromettre votre état de santé. C’est à vous qu’il appartient de prendre la décision car c’est vous l’acteur de votre vie. Prenez soin de vous et n’hésitez pas à poser vos questions ou à étoffer cet article sur la page Facebook.

 

 

 

Rappels sur la réglementation


 

Avant 2002 : Pas de réglementation pour les compléments alimentaires.

 

2002 : Cadre législatif commun au niveau de l’union Européenne (UE) concernant les CA. L’objectif est de réguler les pratiques et de renforcer la protection et l’information des consommateurs par des règles claires et strictes concernant : la composition, l’étiquetage, la qualité et la sécurité. La mise sur le marché d’un CA avec allégation ne peut se faire que si une étude, menée par des experts scientifiques prouve la véracité de celle-ci. Cette étude est traitée et validée par l’EFSA. Il existe plusieurs types d’allégations, les allégations nutritionnelles qui font référence à la teneur d’un nutriment dans l’aliment (riche en vitamine D), les allégations de santé mettant en lien un nutriment/aliment et l’état de santé. 

 

 

2009 : Mise en place d’un plan de nutrivigilance par l’ANSES visant à faire remonter et à analyser les effets secondaires liés à la consommation de certains compléments. Les professionnels de santé (médecins, pharmaciens,...) peuvent signaler des effets indésirables constatés et ils sont intégrés dans une base de données. L’ANSES peut s’en saisir, des expertises sont menées, mobilisant des experts scientifiques. Des avis sont émis et il peut y avoir des restrictions d’usage, de consommation et cela peut aller jusqu’à l’interdiction.

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